Comment ne jamais tomber à court d’idée ?

Le boulot majeur d’un étudiant, parmi quelques autres, est d’avoir des idées. Et quand celles-ci ne viennent pas, souvent dans les moments où l’appel se fait le plus criant, la panne est critique. Résolution de problèmes, association de concepts, argumentation, inventions, arrêtons de sous-estimer l’importance de l’idée, au profit de quelques récitations sans cognition. Car si la récitation peut nous sortir de quelques mauvais pas, sans l’idée, personne n’ira bien loin et le travail produit souffrira de sa pauvreté, avant de s’essouffler.

Je ne pousse pas le topo plus loin. Vous connaissez. Alors page blanche, manque d’inspiration et néant de créativité : quels remèdes à ce jus créatif étouffé ?

#Mieux que les vidéos de chats

Commençons par une question : à quel point votre esprit est-il occupé du sujet de vos études ? Lesdites études peuvent être universitaires ou s’affranchir de tout cadre académique, n’être qu’une simple considération d’ordre personnelle ou s’agir d’un grand problème mathématique, dans tous ces cas, les points développés dans ce billet restent valables. Il est une évidence rarement admise : avoir des idées sur un sujet requiert de penser souvent à ce sujet, qu’il tourne en boucle dans votre tête. Une sorte de veille permanente, qui peut tout à fait bien être inconsciente et par laquelle l’esprit se tient prêt à saisir toute nouvelle information pour la connecter à d’autres déjà à sa disposition et ainsi en créer de nouvelles qui participent de la résolution du problème posé.

Comment parvenir à cela ?

Illustrons par une première histoire. Il était un problème mathématique … duquel je me limiterai à dire que, grosso modo, il existe un système de nombres – les nombres complexes – qui apparait comme un bon moyen de représenter des points sur un plan et que quelques mathématiciens au XIXème siècle se sont demandé s’il n’était pas possible de développer un système similaire qui accomplisse la même prouesse mais dans l’espace à trois dimensions. Un sacré problème, croyez-moi ! Sir William Hamilton, président de l’Académie Royale Irlandaise était l’un de ces mathématiciens. Ce fut d’ailleurs là l’objet d’une des plus grandes recherches de sa vie, à tel point que 10 ans de celle-ci y furent consacrés et qu’arrivé une période, en octobre 1843, l’obsession était telle qu’il la partageait tous les matins au petit déjeuner, avec ses fils.

– Alors papa, tu sais multiplier des triplets ?

Hamilton répondait, tristement je suppose, qu’il ne savait toujours rien faire d’autres que de les additionner et les soustraire. Puis l’un de ces jours, le lundi 16 octobre 1843 précisément, il partit se promener en compagnie de sa femme sur les bords du Canal Royal à Dublin, avant de présider une séance à l’Académie. C’est dans ces circonstances bien ordinaires – en approchant de Broom Bridge et en écoutant distraitement sa femme – qu’advint l’extraordinaire. L’éclair de génie. L’idée qu’il fallait aller plus loin et considérer des quadruplets plutôt que des triplets ! Eureka ! Les quaternions étaient nés et avec eux un nouveau pan considérable de la physique et des mathématiques.

Allons-y d’une deuxième histoire. Celle d’un roi qui, ayant commandé une couronne en or pour en faire offrande aux Dieux, doute que l’orfèvre lui ai joué un mauvais tour en utilisant d’autres métaux pour égaler le poids de l’or que le roi lui avait confié et ainsi en garder une partie pour lui. Le rusé ! Le roi fit donc appel au brillant Archimède pour en avoir le cœur net. Archimède tourna et retourna le problème dans sa tête mais ne put trouver aucune solution au problème sans avoir à détruire l’objet précieux.

Puis il prit un bain. Il remarqua l’élévation du niveau de l’eau dans la baignoire… Suspense… La solution était donc là ! Il suffisait de mesurer le volume de la couronne immergée dans la baignoire grâce au déplacement de l’eau qu’elle provoquait. Puis connaissant son poids, il pouvait déterminer si la densité de la couronne était bien celle de l’or ou s’il y avait anguille sous roche. La masse volumique était née. L’histoire veut ensuite qu’il sauta de sa baignoire et couru ainsi tout nu dans les rues de la Grèce antique en criant “Eureka !”.

Voilà. La troisième histoire sera la vôtre.

Où en étions-nous donc ? Où convergent ces histoires ?

Hamilton, Archimède avant lui et tant d’autres savants encore savent que les idées naissent de graines qu’il faut avoir pris soin de planter et d’arroser. Alors souvent elles germent et éclosent, en nous prenant par surprise, des causes d’une aventure dans quelques endroits au terreau plus fertile. De nouvelles connexions naissent ainsi, et va la créativité. Parfois cela s’explique : la baignoire, et parfois le processus est plus étonnant et on se demande bien d’où sont sortis ces quaternions ! Mais laissons pour le moment la philosophie sous le tapis.

Tirons simplement la leçon : il nous faut occuper notre esprit à des choses bien précises, le lancer sur quelques voies voulues, lui souffler la petite impulsion initiale de sorte à ce qu’il continue de travailler lorsque nous avons fini. Pour cela, travaillons régulièrement, avec enthousiasme. Prenons soin, à chacune de nos sessions de travail, d’y mettre assez d’intensité cognitive pour que l’esprit, d’abord dans la contrainte de l’attention, crée de solides connexions, qui dans le relâchement, se connecteront entre elles pour en créer de nouvelles. Car remarquez, un cerveau occupé à nous aspirer vers des vidéos de chats, entre autres choses, c’est-à-dire vers nos bas instincts, c’est-à-dire occupé à rien… Bon pourquoi pas, chacun fait ce qu’il veut après tout !

On m’objectera qu’il faut être passionné pour agir ainsi. Je ne sais pas s’il s’agit vraiment d’une objection, car j’ai beaucoup de mal à imaginer les études sans la passion. Malgré tout, il arrive que la passion s’affaiblisse, ou simplement qu’elle ait du mal à prendre son départ. C’est justement dans ces moments-là qu’une telle attitude est nécessaire pour la faire naître ou renaître. Car d’avoir des idées, vous verrez, c’est hyper stimulant ! Mieux que les vidéos de chats.

#Les retenir avant qu’elles ne s’enfuient

Quand surgissent vos meilleures idées ? Sous la douche, lors de vos balades, le soir avant de vous coucher ? En vérité, pas besoin d’être un génie pour avoir des idées. Chez nous tous, elles coulent en continu, pour peu que notre cerveau y soit attelé. Or elles s’évanouissent souvent aussi vite qu’elles sont venues, si bien que tout ce dont vous vous souvenez, lorsque vous avez vraiment besoin de l’une d’entre elles, est d’avoir eu une bonne idée. Mais le contenu lui-même, le seul qui importe, évaporé.

Retenons les idées lorsqu’elles surviennent. Même – et surtout – lorsqu’elles surviennent hors du contexte du problème auquel elles sont liées. Un carnet et un crayon à avoir toujours sur soi fera l’affaire, et dès qu’une idée vous vient, empressez-vous de la stocker, c’est-à-dire de la noter dans votre carnet. D’abord elle sera en lieu sûr, prête à être mise à l’épreuve en temps voulu et ensuite votre esprit sera de nouveau libre pour penser à autres choses – et à d’autres idées -, plutôt que de se concentrer à en retenir une en particulier qui de toute façon lui échappera.

Ici un petit aperçu du fonctionnement d’Andrew Wiles lorsqu’il travaillait sur une démonstration du dernier théorème de Fermat :

“Quand il y avait quelque chose qui m’occupait l’esprit, je n’avais besoin ni de papier, ni de crayon, ni de bureau, j’allais plutôt me promener le long du lac. Quand je suis en train de marcher, je parviens à me concentrer sur un aspect très précis d’un problème et à me polariser complètement. Comme j’ai toujours de quoi écrire dans ma poche, je peux toujours m’asseoir sur un banc quand une idée me vient.”

Un superbe résumé des points que j’expose dans ce billet, qu’il faut savoir mêler les uns aux autres dans la pratique pour en obtenir les effets. Andrew Wiles commençait par occuper son esprit de l’objet de ses préoccupations. Dès lors, ce dernier travaillait de lui-même et tout ce qu’il restait à faire était d’être suffisamment à l’écoute et assez prompt à noter les idées qui tombaient, lorsque l’attention s’assouplissait.

Et le cercle boucle sur lui-même, du fait que l’enthousiasme d’une idée en entraine une autre et que bien vite, vous vous surprendrez à remplir des carnets entiers ! Autant de choses qui vous motiveront à pousser le travail plus loin encore et plus profondément, sur un problème qui vous occupe, jusqu’à l’obsession prodigue.

Le point important est de noter toutes ses idées et n’en privilégier aucune. Les ordinaires valent autant que les extraordinaires ! D’abord parce qu’on oublie plus facilement l’ordinaire et qu’il est donc encore plus nécessaire de les retenir : il est en effet fort à parier qu’Hamilton n’allait pas oublier de sitôt sa découverte des quaternions ! Ensuite, parce que ce sont les petites gouttes qui font les grands ruisseaux et que c’est l’accumulation des petites idées qui fait naître les grandes. Si les quaternions se sont révélés à Hamilton plutôt qu’au brave ouvrier du quartier d’à côté, cela n’est pas sans raisons : sa vie d’alors fut immensément riche d’idées préalables. Considérez bien cela : aucune idée n’est stérile et le penser risque de vous priver de grandes occasions !

Désormais, une fois de retour face à votre écran ou devant votre problème, pour une nouvelle session de travail intense, vous n’aurez qu’à vous souvenir d’avoir eu cette idée qui vous élargissait le sentier vers l’inspiration ou la résolution et ne reste alors plus qu’à sortir votre carnet pour vous rappeler en détail de son contenu. Je parle plus profondément de cette notion de travail intense dans mon guide l’Essence de l’Excellence, que vous trouverez ici en téléchargement couplé à un abonnement à la newsletter du blog.

En somme, vos problèmes d’inspiration ne viennent pas d’un manque de créativité, mais plutôt de votre mauvaise perception du travail créatif. N’attendez pas de vous retrouver face à votre feuille pour vous mettre à chercher les idées. La vérité est que les choses ne fonctionnent pas ainsi. Les idées ont tout le mal du monde à venir sur commande.

Avant de conclure, je dirai que les idées sont une chose, mais il en est bien d’autres que vous pouvez noter à la volée, comme par exemple de nouveaux projets qui vous viennent à l’esprit. Si le manque d’idée – avec quelques autres facteurs – se traduit par un manque d’inspiration et de créativité, le manque de projets, lui, implique l’ennui et la prévisibilité. Par exemple, en passant par le parc, voyez ces fous qui marchent sur une corde ou une sangle ou vous en savez rien, mais vous avez toujours voulu jouer, comme eux, au funambule. Pas le temps aujourd’hui. Notez-le pour une prochaine fois, pour une vie plus excitante et exempte d’ennui. Ou encore, ni idée, ni projet : une simple balade sur les bords du fleuve, le soleil brille, un écureuil saute de branche en branche, vous êtes serein. Prenez note de ce beau moment. Vous serez heureux de vous en souvenir ainsi.

Cela fait un paquet d’années déjà que j’utilise les techniques que je vous présente ici et dans ma chambre, on peut trouver un classeur d’archives entier dédié au stockage de mes idées. Ce qui n’est pas sans faire rire quelques amis par ailleurs. Des réactions que j’aime beaucoup. Il y a quelques jours je me suis amusé à sortir ce classeur et remonter le cours des pages aux dates les plus anciennes : ces moments où je commençais vraiment à avoir des idées. À la lecture du moi d’avant et de son dialogue intérieur d’alors : silence, contemplation, nostalgie, respect, compréhension, gratitude et tout un tas d’autres émotions silencieuses. Je crois que c’est une richesse inestimable que de pouvoir remonter ainsi le temps et ne serait-ce que pour cela, mes idées continueront de se voir jetées sur le papier ! Et les vôtres ?

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